Ma mère, une femme de lumière
Sophie, passionnée de photographie, a capté avec sensibilité les derniers moments de vie de sa mère, avec qui elle partageait aussi l’amour du vélo et de la musique. Aujourd’hui, elle vit avec son conjoint, leur bébé et leurs deux huskies, fière d’être restée fidèle aux valeurs familiales et d’avoir choisi d’accompagner sa mère comme proche aidante dès le premier jour, une décision parmi les plus importantes de sa vie.

Le portrait d’une femme lumineuse
À travers les multiples épreuves de sa vie, ma mère avait déjà combattu un cancer. Bien qu’elle l’ait vaincu grâce à la chimiothérapie, à la radiothérapie, au courage, à la patience, à la résilience et bien plus encore, ce cancer du côlon ne l’aura pas laissée sans séquelles. D’avoir souffert durant ses traitements et après l’opération, de réapprendre à vivre avec des limitations, c’était pour elle une montagne s’apparentant au mont Everest qu’elle avait difficilement gravie. Après cette ascension, elle nous avait clairement fait savoir qu’elle refuserait de réemprunter un tel chemin.
Lorsque l’urgentologue a prononcé le mot « tumeur » le 19 décembre 2021, j’étais seule avec elle et je savais ce que signifiait ce petit mot, ce que cette montagne représentait. Je me suis effondrée et j’ai vomis. Spontanément, j’espérais que ce ne serait pas « si grave », que ça se guérisse et que ce serait la moins pire des tumeurs. La vérité, c’est que j’étais dans le déni d’une réalité bien plus épeurante, face à l’inconnu et à ma plus grande peur : celle de perdre ma mère. J’espérais profondément qu’elle trouverait la force de vouloir vaincre à nouveau cette chose dont on ignorait tout, sans savoir, à ce moment-là, qu’il n’y avait rien à faire.
Faire face à l’inimaginable
Ma mère était très tolérante à la douleur. Il en fallait beaucoup pour l’entendre se plaindre. Pourtant, depuis quelques mois, elle parlait de douleurs intenses à la tête. Elle sentait aussi que sa vue se dégradait. Dans les jours précédant le diagnostic, elle perdait la mémoire et la cohérence de sa parole. Le jour où nous l’avons amené à l’urgence, il était devenu trop évident que quelque chose de grave la guettait. La tumeur cérébrale qui lui a été diagnostiquée ce jour-là s’appelle un glioblastome. C’était située dans la partie antérieure de son cerveau, derrière les yeux, atteignant les 2 lobes frontaux.
On apprenait un peu plus tard que la tumeur n’était pas opérable. La masse était d’une grosseur s’apparentant à celle d’une orange et affectait les fonctions des jambes, les émotions et, éventuellement, la continence. Nous nous étions fait dire que l’emplacement de la tumeur pourrait avoir un impact sur sa personnalité, et que ses réactions pourraient nous paraître méconnaissables. Malgré tout, jusqu’à la fin, ma mère est demeurée la femme authentique, aimante et altruiste qu’elle a toujours été. Elle n’avait pas changé.
Quand la vie prend un autre rythme
Sur le coup, je pouvais lire l’appréhension dans ses yeux, puis le doute et l’utopie. Jusqu’à ce qu’elle n’ait plus la capacité d’y penser, il était complètement irréel pour ma mère d’imaginer qu’elle ne retournerait pas au travail. Elle pensait prendre 2 semaines de congé et recommencer ensuite. La situation lui paraissait irréelle. Nous avions aussi des projets, comme celui de voyager ensemble. Nous voulions attendre la fin de ses traitements de chimiothérapie et de radiothérapie pour le réaliser. Malheureusement, compte tenu de sa courte espérance de vie et des effets de ses traitements, il n’aura pas été possible de réaliser ce voyage tant espéré.
Si certaines répercussions de la tumeur lui ont été défavorables, elle trouvait utile, à certains moments, d’être abstraite de toute émotion. Cela l’empêchait de s’effondrer de tristesse ou de vivre dans la crainte et la lourdeur sentimentale. Je crois que la fatigue aura été la pire répercussion qu’elle ait connue. Elle n’aura pas eu le temps de profiter de ses derniers instants en toute lucidité et en toute aptitude, comme elle l’aurait souhaité. Son espérance de vie était de 3 à 6 mois, et elle est restée parmi nous pendant 6 mois.
Accompagner jusqu’au bout
J’ai ADORÉ le temps que j’ai passé avec elle tout au long de son dernier combat. Ça a été un privilège de l’assister et d’être au front avec elle tous les jours. À chaque rencontre médicale, à chaque rendez-vous de radiothérapie, pendant les moments de ressourcement dans le salon, de bouffées d’air dehors, les siestes collées, d’entretenir ce qu’elle aimait, ce qu’elle avait bâti, comme elle l’aurait fait pour moi et mes frères.
Quelques mois après son diagnostic, mon frère Pierre-Luc est venu demeurer avec nous pour passer le plus de temps possible auprès de notre mère. Il m’a prêté main forte, en tant que proche aidant, lui aussi. L’idée de départ, c’était de partager les devoirs, mais au fil du temps, nous avons partagé bien plus. Avec du recul, je réalise que d’avoir été proches aidants ensemble nous a permis de créer une bulle d’amour, de sérénité et de légèreté autour d’elle, lui permettant de nous quitter tranquillement dans une telle atmosphère, chez elle, comme elle le souhaitait. Sans lui, rien de tout ça n’aurait été possible.
Au cours de ces derniers mois, j’ai connu le dévouement et l’amour avec un grand A qu’elle nous a toujours donnés. C’est un immense cadeau qu’elle m’a offert d’y avoir goûté, en me permettant de lui en redonner une infime partie. Toute ma vie, elle m’a outillée pour être prête à vivre des moments comme celui-là et je ne la remercierai jamais assez.
Quand le deuil devient un moteur d’espoir
J’ai découvert la fondation à la suite du départ de ma mère. Un mélange de sentiments de colère, d’injustice et de profonde tristesse m’a poussé à chercher un moyen de contribuer à l’avancement des recherches sur ce type de cancer. Lorsque le diagnostic a été posé, j’ai découvert qu’il y avait eu quelques avancées à ce niveau, mais que la pandémie et le manque de fonds avaient fait retarder le processus de recherche. J’aurais aimé que ce soit différent, qu’il y ait d’autres options que la mort, qu’il y ait au moins la possibilité d’essayer quelque chose… C’était la vie de ma mère et de ma meilleure amie, dont il était question. En donnant à la Fondation canadienne des tumeurs cérébrales, notre famille allait contribuer à améliorer le sort d’autres humains, d’autres familles, d’autres enfants qui seraient touchés par cette maladie.
Avec mon frère Pierre-Luc et sa petite famille, nous avons également participé à la Marche des tumeurs cérébrales.
Un premier Noël sans elle… et un miracle inattendu
J’appréhendais énormément mon premier Noël sans ma mère, puisqu’elle était l’élément rassembleur de ma famille. Tout allait être différent et particulièrement difficile. Pourtant, un mois avant ce Noël-là, une petite âme a choisi de s’installer dans mon ventre, contre toute attente. Elle n’était pas attendue ; elle nous a pris au dépourvu. Difficile de parler avec certitude de la signification de cette merveille, mais quelque chose me dit que ça provient de là-haut. Ma fille est née l’année suivant son décès, à 17 h 54.
La vie de maman est merveilleuse et je m’épanouis chaque jour auprès de ma fille. Nous avons déjà une très forte connexion et une complicité difficile à expliquer. Bien qu’il ne soit pas toujours facile d’avoir perdu une si grande figure d’influence, je sens que ma mère m’a transmis la force nécessaire pour assumer mon rôle de maman en son absence. En ce moment, la vie est à la fois enrichissante et douce, et je la redécouvre à travers les yeux de ma fille.
Un dernier adieu empreint de lumière
Une partie de moi sait qu’elle a choisi la journée du solstice d’été pour nous quitter, afin de partager avec nous un message de lumière et d’espoir à travers les jours difficiles. Un 21 juin ensoleillé, alors que l’arborescence autour de nous était en fleurs, nous avions rempli sa chambre de lilas coupés sur son terrain, l’empreignant de cette odeur qui la guiderait vers un paradis certain. Nous sentions, ce jour-là, que ce serait son dernier. Nous étions là, ses trois enfants, à ses côtés. Nous avons pu lui chuchoter tout notre amour et nos remerciements, la rassurer sur toute appréhension qu’elle aurait pu garder à l’égard de cette vie, afin qu’elle puisse s’envoler libre et légère. Et c’est ce qu’elle a fait, à 17 h 45, l’heure à laquelle elle revenait du travail. L’heure à laquelle elle se prenait une petite coupe de vin en écoutant les oiseaux sur son patio, après une longue et éprouvante journée de travail. Elle nous quitta donc à cette heure, pour se reposer après une vie bien remplie.
Sa présence dans la lumière du quotidien
Aujourd’hui, je vois ma mère dans les oiseaux, dans la lumière qui réchauffe mes joues et dans le soleil qui perce les nuages. Elle vient nous voir, nous saluer et en faire bien plus. Elle est là pour nous, à chaque instant dont nous avons besoin, comme toutes les mamans le font, à sa façon.