Restez informé!

Inscrivez-vous
à notre infolettre.

Le moment présent

  le 05 janvier, 2020

De nos jours, « le moment présent », est un concept très tendance. On en entend parler partout. Il faut vivre le moment présent ! Il faut rester dans le moment présent. Regarder en arrière, c’est la nostalgie assurée, et regarder devant, c’est l’anxiété garantie. Si vous cherchez « moment présent » sur Google vous obtiendrez environ 176 000 000 résultats. Cela représente des centaines et des centaines de livres, de sites Web, de vidéos, etc.

Le moment présent a de nombreuses vertus. Pour moi, la principale est de savoir apprécier ce que l’on vit, ici et maintenant. Être ancré dans le présent, c’est cesser de se perdre dans un passé révolu ou un futur encore inexistant. Ouvrir les yeux sur les merveilles de la vie. Tant de gens passent à côté de leur bonheur, accaparés qu’ils sont par ce qui n’est plus ou ce qui n’est pas encore… Aveugles aux joies simples de la routine, la beauté de ce qu’ils sont en train de vivre leur échappe.

Donc, chérissons le moment présent, vivons dans l’instant ! Je vous avouerai que j’aurais aimé découvrir ce concept beaucoup plus tôt dans ma vie. Je me dis que cela m’aurait permis de mieux profiter de certains moments. Un peu comme un bonbon qu’on prend le temps de savourer au lieu de le croquer et de l’engloutir rapidement pour se dire après qu’on n’en a pas assez profité. Depuis quelques années, je m’efforce, jour après jour, de rester dans le moment présent. Je m’efforce d’apprécier au maximum ce quotidien routinier ou parfois hors de l’ordinaire que la vie m’offre. Dans les petites choses comme dans les grandes. L’humour de mon mari. Le sourire de mes enfants. Leur présence. Un bon repas avec des amis. Un voyage. La nature qui m’entoure. Le chant du Cardinal rouge quand vient le printemps. La neige qui tombe. Un bon livre.  J’ai même un petit truc à moi… Parfois, je m’arrête un moment, tout simplement, pour réaliser et apprécier le fait que je n’ai mal nulle part (ni à la tête, ni au dos, ni aux dents, etc.) !

Mais qu’en est-il du moment présent lorsque la vie nous envoie des épreuves ?

Maladie, deuil, licenciement, trahison, perte financière, ou tout autre accident de la vie ? En quoi, dans ces moments-là, le fait d’être dans le moment présent peut-il bien nous aider, nous être bénéfique ? Ne voudrait-on pas alors, au contraire, être partout sauf dans le moment présent ? Fuir ce moment de douleur, de tristesse, d’inquiétude, de peur, d’incertitude, voire de colère ?

Un jour de mai 2015, au cours d’une visite de routine avec mon neurochirurgien pour le suivi préventif d’un méningiome asymptomatique découvert fortuitement en 2008, surveillé tous les 2 ans par IRM, et ne suscitant aucune inquiétude, celui-ci m’a fait comprendre que j’allais devoir être opérée de ma tumeur cérébrale. Le méningiome s’était mis soudain à grossir de manière rapide et exponentielle. J’ai d’abord eu du mal à comprendre ce que j’entendais… Le neurochirurgien a dû tout me répéter tant je ne m’attendais pas à l’entendre me dire cela… J’ai alors ressenti un vrai choc. La peur s’est emparée de moi avec la force d’un tsunami que je n’avais pas vu venir. Tous les « moments présents » qui ont suivi cette annonce n’avaient rien d’heureux ! Annoncer l’opération à venir à mes proches, attendre de connaître la date de l’intervention, finalement me préparer la veille pour la chirurgie, m’imaginer toutes sortes de scénarios catastrophes, faire bonne figure pour ne pas inquiéter mon entourage, craquer et éclater en sanglots, parfois devant mon entourage, embrasser mes enfants, puis mon conjoint avant de passer, seule, au bloc opératoire tout en me demandant si c’était pour la dernière fois que je venais de les embrasser…

On allait m’ouvrir le crâne ! Ça ne pouvait pas m’arriver à moi !  Non, décidément, ces « moments présents », c’était l’enfer ! Je ne voulais pas du moment présent ! Le moment présent, était un moment d’angoisse ! Tous celles et ceux qui ont vécu une expérience similaire savent de quoi je parle.

Quelles sont alors les vertus du moment présent pour les personnes atteintes d’une tumeur cérébrale non maligne menaçante ou à cause de laquelle leur vie ne sera plus jamais la même. En quoi la philosophie du moment présent peut-elle être utile lorsque l’on a une tumeur cancéreuse au cerveau? Un glioblastome par exemple ?

Vous l’avez compris, c’est là que l’on rentre dans le vif du sujet.

Je dois avouer que cela m’a pris quelques années pour finir par réellement comprendre ce que signifiait vraiment le moment présent.

Au-delà du temps qui s’écoule objectivement, au-delà des joies et des peines traversées, le moment présent est bien plus que les heures qui s’égrènent avec, en toile de fond, ce qu’il nous est donné de vivre.

Le moment présent, c’est d’abord et avant tout, ce que l’on décide d’en faire. Cela peut signifier de choisir l’optimisme, et cela peut aussi signifier de reconnaître l’inquiétude, l’angoisse, la peine, la pensée négative, etc. et d’accueillir tout cela.

Le moment présent, c’est le regard que l’on pose sur ce que nous vivons. Quoi que nous soyons en train de vivre. C’est la façon dont nous y faisons face alors que l’on voudrait y échapper.

Je connais un homme courageux, à qui un psychologue a dit un jour que, malgré son cancer du cerveau, malgré l’incertitude face à la vie, il avait encore « droit au bonheur ». Ces simples mots ont radicalement changé sa façon de voir les choses.

Malgré la maladie, on a le droit de rire, on a le droit de partager un bon repas avec des êtres chers, on a le droit d’apprécier une belle musique, un film, un livre, une exposition, le coucher du soleil un soir d’été, le bruit de la pluie en octobre ou la première neige de la saison. On a le droit de s’émerveiller devant le dernier bon coup de sa progéniture. On a le droit de regarder son partenaire et de se sentir follement heureux de partager notre vie avec lui ou elle.

Je parle de « droit ». Mais j’irais même jusqu’à oser dire qu’on en a le devoir. Le devoir d’être heureux envers et contre tout. Le devoir de ressentir le bonheur d’un moment objectivement heureux, et de discerner le bonheur, malgré tout, dans un moment plus difficile. Parce que la vie est la plus forte, et qu’après la pluie, le beau temps. Jusqu’à preuve du contraire. Jusqu’au bout du bout.

Vous êtes dans une salle d’attente, vous êtes sur le point d’avoir les résultats de votre IRM du cerveau… Dans un tel moment, le stress peut atteindre des sommets… Mais l’on peut tout de même être reconnaissant de pouvoir bénéficier de ces fabuleuses machines des temps modernes qui permettent d’établir un diagnostic et donc de mettre en place un plan d’attaque !

Vous êtes en séance de chimiothérapie. Bien sûr, c’est difficile. Mais l’on peut décider d’être reconnaissant de l’avancée de la science grâce à laquelle on peut bénéficier d’un traitement !

Vous allez être opéré. Quelle angoisse… Mais l’on peut décider d’être reconnaissant que cette tumeur soit opérable ! On peut décider de centrer notre pensée sur un aspect positif comme d’être reconnaissant envers le neurochirurgien qui a passé tant de soirées et de fins de semaine à étudier pendant une partie de sa jeunesse, ainsi que des années à acquérir de l’expérience, et qui, de plus, a le cran d’ouvrir des crânes !

Et puis, étonnamment, le moment présent, c’est aussi parfois s’en extraire justement. En faire autre chose que ce qu’il est quand cela devient vraiment trop dur. Un jour, sans le savoir, sans en être réellement consciente, j’ai commencé à pratiquer la visualisation.

Je vous explique.

En 2016, j’ai eu l’immense privilège d’aller découvrir la Polynésie Française. Le voyage d’une vie, un rêve devenu réalité. Depuis, très souvent lorsque le moment présent n’est pas si clément, je ferme les yeux, et je m’y transpose en pensée. En temps réel. Je calcule le décalage horaire. J’imagine l’heure qu’il est là-bas. Je pense à un endroit que j’ai particulièrement aimé, et, littéralement, j’y passe un moment.

Vous vous sentez dépassé et envahi par l’angoisse ? Échappez-vous un instant. Forcez-vous à vous évader.

Vous connaissez sûrement un endroit, quelque part dans le monde, tout près de chez vous ou plus loin, dont la simple pensée vous apaise.

Une autre situation me revient à l’esprit. Je me souviens d’un jour où j’étais en vacances loin de chez moi. La veille au soir, ma fille aînée avait dû être hospitalisée à Montréal pour un problème qui, finalement, deux jours plus tard allait s’avérer sans gravité. Mais mon vol n’était prévu qu’en fin d’après-midi, et je n’avais aucun moyen d’arriver plus tôt. J’étais morte d’inquiétude. Je me suis retrouvée, à un moment donné, au bord de la piscine de l’hôtel, sous un grand soleil, mais j’étais comme aveuglée par le stress qui me rongeait… Et je ne voyais pas la beauté de ce qui m’entourait. Puis, je me suis dit « Michèle, il n’y a rien que tu puisses faire tout de suite, concentre-toi sur ce moment. Tu es au soleil, dans un cadre idyllique. Savoure ! ». J’ai alors tout fait pour m’ancrer dans le moment présent, et j’ai enfin pu sentir la chaleur sur ma peau, admirer les palmiers, respirer, me détendre et, ainsi, je suis parvenue à gérer mon stress qui, à ce moment précis, m’envahissait mais qui n’était d’aucun secours à ma fille, et ne faisait que me nuire.

Au quotidien, ce qui m’aide à me régénérer, c’est lorsque je parviens à vivre le moment présent de la manière la plus absolue, durant une séance de yoga. Je rentre dans le studio, et, une fois sur mon tapis, je m’installe avec bonheur dans le moment présent. Je laisse mes soucis à l’extérieur. S’ils viennent s’immiscer dans mes pensées, je tâche de les évacuer et de me recentrer. Il n’y a plus que moi et mon tapis, près des flammes dansantes du foyer électrique qui apporte tant de chaleur à la pièce. Je suis là, je me sens en sécurité sur mon tapis, et je m’autorise à me concentrer sur ma pratique, sur moi-même. Je suis dans le présent, pleinement. Mon présent est d’être dans ma pratique, à l’écoute de l’instructeur, à l’écoute de mon souffle et de mon corps. Moment de grande simplicité. Moment de grâce. Peu importe ce que je suis en train de vivre au-dehors. Ici, maintenant, je suis toute à ma pratique. Rien d’autre n’existe.

Enfin, le moment présent, cela peut être aussi, tout simplement reconnaître que seul, on n’y arrivera pas. Aller chercher de l’aide. En parler à son médecin. Consulter un psychologue. Faire de l’acupuncture ou s’inscrire à des cours de méditation. Cela peut être aussi de prendre un café avec un ami ou une amie. Se confier. Adhérer à un groupe de soutien.

Le saviez-vous ? La Fondation canadienne des tumeurs cérébrales en offre, que ce soit en personne ou par téléphone et Internet.

 

 

Michèle Tirlemont

Survivante et animatrice du groupe de soutien virtuel francophone