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Une vague d’amour immense. Tout au long du voyage.

  le 09 novembre, 2020

Depuis bientôt 5 ans, comme vous le savez peut-être déjà, j’anime un groupe de soutien virtuel pour des personnes atteintes d’une tumeur cérébrale, maligne ou non maligne.

Depuis le début de mon engagement bénévole au sein de la Fondation canadienne des tumeurs cérébrales, j’ai rencontré beaucoup de monde traversant une telle épreuve.

Comme je le rappelle souvent, une tumeur, qu’elle soit maligne ou non maligne, n’est jamais bénigne. Même si, dans le premier cas, le cancer complique encore plus la donne cela va sans dire, une tumeur non maligne, tout comme une tumeur cancéreuse, peut lourdement affecter la vie de quelqu’un, dépendamment de sa taille, de son emplacement, et des capacités physiques et mentales auxquelles elle peut porter atteinte.

On peut considérer une tumeur au cerveau en s’en tenant strictement aux aspects médicaux du problème. Mais, vous l’aurez deviné, une tumeur au cerveau a des ramifications potentiellement tentaculaires dans la vie de celles et ceux qu’elle attaque.

Passé le choc du diagnostic, et l’établissement d’un plan de lutte, le défi est de vivre avec les symptômes causés par la tumeur ; des symptômes qui contraignent souvent les personnes atteintes à devoir faire certains deuils. Ce terme « deuil » est un mot qui revient très souvent dans les propos des personnes atteintes, tout comme « faire leur deuil » de leur vie « d’avant ». Par exemple, perdre son permis de conduire est quelque chose de beaucoup plus courant et de beaucoup plus dur qu’on ne l’imagine. Ne plus pouvoir s’adonner à un loisir qui nous passionnait. Ne plus pouvoir exercer son métier. Perdre des facultés motrices, voire ne plus pouvoir se mouvoir de manière autonome. Perdre un peu ou beaucoup de sa liberté. Il peut devenir alors extrêmement difficile d’accepter une telle situation. On comprend bien pourquoi… Tous ces deuils sont plus ou moins quantifiables, et l’entourage peut les constater, très concrètement, et parfois y pallier. Il semble habituellement assez facile pour les personnes atteintes d’en parler avec leurs proches, leurs amis. Et c’est, bien sûr, très important pour elles car, ainsi, elles peuvent recevoir de l’aide.

Mais aujourd’hui, je voudrais aller plus loin, au-delà des aspects « mécaniques » liés aux symptômes de la tumeur, qu’il s’agisse de symptômes avant une opération ou un traitement, ou de séquelles post-opératoires ou post-traitement.

Je veux parler de ce qu’une personne ainsi atteinte peut penser par rapport à son entourage. Je voudrais vous parler de son ressenti vis-à-vis de ses proches. Pourquoi ? Parce que l’on arrive là à un sujet plus délicat. Parce que l’on entre ici dans une sphère plus personnelle, plus intime, où les choses sont plus difficiles à exprimer.

Je veux en particulier parler de la manière dont les malades touchés par un aussi grave problème de santé peuvent se sentir vis-à-vis de leur entourage. Et, ce qui revient régulièrement dans mes discussions avec eux, c’est que, trop souvent, ils se perçoivent comme un « poids ». Ils sont gênés de n’être plus « eux-mêmes », ils sont embarrassés de ne plus pouvoir faire les choses dont ils pensaient – à tort – qu’elles les définissaient. Ils s’excuseraient presque de ne plus pouvoir réaliser les fonctions qu’ils remplissaient auparavant. Ce que j’écris là n’a rien d’anodin. De telles pensées engendrent beaucoup de souffrance. Les personnes atteintes par une tumeur cérébrale et souffrant de symptômes invalidants notamment, se sentent mal d’avoir ainsi dû couper court à une vie bien organisée, à des projets, à des rêves supposés se réaliser un jour, à certaines attentes. Il peut s’agir de la perte d’un emploi qui permettait de faire vivre la famille, de la perspective d’une retraite confortable et sans soucis qui s’envole ; cela peut être l’impossibilité de prendre soin des petits-enfants comme le font tant de grands-parents pour soulager leurs propres enfants devenus de jeunes parents ; cela peut aussi être le voyage d’une vie que l’on ne fera jamais ; enfin, il peut aussi s’agir de projets de proches aidants qui ne verront pas le jour en raison de la situation, etc. La sensation d’être devenu un poids pour les proches est plus courante qu’on ne le pense…

Un jour, lors d’une rencontre du groupe de soutien, une personne s’est épanchée sur la question. J’en ai eu le cœur brisé et, pour la première fois je pense, je suis un peu sortie de la réserve à laquelle je m’astreins toujours. Dans le but affiché de lui démontrer qu’elle n’était un fardeau pour personne, je lui ai dit et redit à quel point j’étais sûre que son entourage ne la considérait absolument pas comme un « poids ». Et je crois que, quelque part, elle devait le savoir aussi. Mais, c’était comme si, sous le poids de la dictature de l’idée selon laquelle on doit toujours être au top de tout dans notre société, au top de la beauté, de la santé, de l’échelle sociale, etc., elle avait oublié qu’elle avait toute sa place dans notre société, tout comme dans son cercle familial et amical, même malade, même diminuée. Et c’est là que, fidèle à mes convictions, je me suis mise à parler avec plus de passion que d’ordinaire : « Qu’avons-nous raté dans notre société moderne ? À quel moment a-t-on pu instiller dans l’esprit des gens l’idée que s’ils tombaient gravement malades, alors ils devenaient une gêne, un « fardeau » pour ceux qu’ils aiment et qui les aiment ? Comment a-t-on pu en arriver là ? Comment avons-nous pu collectivement agir pour que, malgré tout l’amour reçu, une personne puisse penser que, parce qu’affaiblie et plus du tout « performante », elle dérange ses proches, au point qu’elle en nourrisse de la souffrance ? »

« Bien sûr que non, vous n’êtes pas un fardeau ! », me suis-je exclamée, et j’ai poursuivi à peu près en ces termes : « Vos proches vous aiment, vos proches veulent être là pour vous. Que signifierait l’idée même de l’amour si ce n’était précisément de faire abstraction de tout, en pareilles circonstances, pour entourer la personne aimée, souffrante, devenue vulnérable ? Chassez cette idée de votre esprit. Vos proches vous aiment, et ils veulent, absolument, être là pour vous. Se battre à vos côtés. Profiter de tout ce que la vie a encore à offrir, quelles que soient les limites imposées par la tumeur au cerveau, jusqu’au bout. »

Je dois vous dire que la nuit qui a suivi, je me suis demandé si je n’y étais pas allée un peu trop fort… Car, vous le devinez, je m’étais engagée sur un sujet sensible…

Deux semaines plus tard, lors de la rencontre du groupe suivante, la même personne a pris la parole. Elle avait eu le temps de repenser à cet échange. À ma grande surprise, et à mon encore plus grand soulagement, elle nous a dit combien les mots qu’elle avait entendus lui avaient fait du bien, l’avaient apaisée. Elle y avait réfléchi, et voyait dorénavant les choses de manière bien différente. Elle était plus sereine. Comme si elle s’était débarrassée d’un poids qui pesait sur ses épaules. Oui, « sereine », c’est le mot.

Vous qui souffrez en ce moment et qui, peut-être, avez la tentation de penser ce que cette personne pensait auparavant, cet article est pour vous.

Non, vous n’êtes un poids pour personne. Vous êtes vulnérable et, plus que jamais, les personnes qui vous sont chères, et qui tiennent à vous, veulent être là pour vous. Elles tiennent à vous montrer tout leur amour. Elles continuent de vous aimer, tel que vous êtes. Vous continuez d’avoir une place importante dans la vie, dans leur vie.

Cette vie qui, précisément, n’est pas un long fleuve tranquille.

Vous, proches et proches aidants, ne manquez pas une occasion de dire à la personne que vous aimez, à quel point il est important pour vous de l’accompagner, d’être là pour elle. Faites tout pour lui faire comprendre et sentir qu’il n’y a rien d’autre que vous voudriez faire en ce moment que de prendre soin d’elle. Quand l’adversité frappe n’est-ce pas précisément le moment de la vie où, plus que jamais, on doit montrer son amour, son amitié à la personne en peine ? N’est-ce pas le moment où celle-ci, plus que jamais, a besoin de se sentir aimée, soutenue, essentielle?

En ce moment, vous traversez, tous ensemble, des rapides.

Avec de la pratique, tout le monde s’ajustera. Et les flots seront maîtrisés. Et les flots s’apaiseront. Vous surferez alors tous sur une vague d’amour encore plus immense.

Tout au long du voyage dans lequel cette tumeur vous emmène. Jusqu’au bout.

 

 

MicheleMichèle Tirlemont

Survivante et animatrice du groupe de soutien virtuel francophone