La vie au-delà d’une tumeur cérébrale
Barb Wentworth ne s’attendait pas à ce qu’une tumeur cérébrale devienne un tournant dans sa vie. En 1988, alors qu’elle avait 38 ans, elle était censée se préparer pour une traversée du Canada à vélo qu’elle et son ancien mari organisaient. Vingt-cinq cyclistes s’étaient inscrits : Sara, la fille de Barb, âgée de 11 ans, devait rouler derrière elle sur un tandem; son fils Mark, 15 ans, vivant avec une paralysie cérébrale et un handicap développemental, était en soins de répit d’été; et son fils Jason, 18 ans, était avec la famille.
Elle revenait tout juste dans sa ville natale, Toronto (Ontario), après avoir vécu à Vancouver (Colombie-Britannique), où elle était enseignante en éducation spécialisée.
Ayant travaillé toute la journée avec des enfants ayant des besoins supplémentaires, puis revenant à ses propres enfants, en particulier Mark, qui avait lui aussi des besoins particuliers, Barb se sentait dépassée et avait décidé de faire une pause professionnelle.
Fatigue inhabituelle
Elle avait hâte à son voyage à vélo à venir, le cyclisme étant l’une de ses passions, mais s’entraîner pour la randonnée était difficile.
« J’étais épuisée, vidée », dit Barb.
Elle a consulté son médecin de famille, qui a recommandé un examen physique et un test de la vue.
« J’ai couvert mon œil droit et ce que je voyais ressemblait à ce que l’on verrait si la vapeur de la douche embuait le miroir de la salle de bain et que l’on tentait de le nettoyer du bout des doigts », explique Barb. « Je ne le remarquais pas avec les deux yeux ouverts, seulement quand j’en couvrais un. »
Elle a été orientée vers un ophtalmologiste, qui pensait que son problème de vision pourrait être dû à une névrite optique — une affection où le système immunitaire, en réaction à la grippe, attaque par erreur le nerf optique.
Un changement de plans
Après un scanner et une IRM, Barb a appris qu’elle avait un méningiome dans son chiasma optique. En moins d’une semaine, elle subissait une intervention chirurgicale entre les mains du regretté neurochirurgien, le Dr Fred Gentili.
Le mari de Barb a entamé la traversée du Canada à vélo en Colombie-Britannique, mais elle lui a demandé de revenir lorsque sa convalescence s’est révélée trop difficile à gérer seule.
« C’était la perte d’un grand rêve pour nous tous », dit-elle.
Encore plus dévastateur : Mark, que Barb et sa famille considéraient comme leur propre enfant, mais qui était toujours légalement en famille d’accueil, a été placé dans une résidence collective pendant que Barb était à l’hôpital.
« Ce n’est pas nous qui l’avons placé, et nous n’avons pas eu le choix », explique Barb. « Nous avons simplement eu de la chance qu’il soit placé à Toronto et non ailleurs, parce que comment aurions-nous pu gérer cela? »
Cette période est confuse dans ses souvenirs, un moment qu’elle ne regarde pas avec tendresse.
« Je ne me souviens même pas qui a emballé les affaires de Mark », dit Barb. « Il avait une chambre à la maison et, tout à coup, il était parti. Je ne sais pas comment il a pu donner un sens à tout cela. »
Barb ramenait Mark à la maison les fins de semaine, dès qu’elle se sentait suffisamment en forme, mais elle ne pouvait pas s’occuper de lui à temps plein compte tenu de ses propres défis de santé.
« Je suis passée d’une mère aidante, très présente physiquement, à une mère défenseure de mon fils dans son foyer de groupe », explique Barb. « Les deux rôles étaient aussi exigeants l’un que l’autre. Pendant ce temps, ma fille a manqué l’aventure à vélo à travers le Canada, a passé l’été à apprendre la guitare classique et a été mon plus grand soutien. Mon fils aîné, lui, a souffert de notre manque de communication et de soutien. Beaucoup de sentiments d’abandon, de colère et de tristesse pour tout le monde. J’aurais tellement voulu que les choses se passent autrement. »
Choisir sa propre voie
Barb est retournée travailler après sa première chirurgie, occupant un poste de planificatrice en sécurité cycliste pour la Ville de Toronto.
Elle continuait de gérer ses symptômes et consultait le Dr Gentili, qui était devenu pour elle un véritable pilier, au sens propre comme au figuré.
Trois ans après sa première chirurgie, elle se souvient d’un appel téléphonique reçu après une IRM.
« Le Dr Gentili m’a dit que je devais venir immédiatement pour une nouvelle opération », raconte Barb. « La tumeur atteignait mon nerf optique gauche. Je lui ai répondu « non », ce qui l’a certainement surpris. »
Le mari de Barb s’était qualifié pour le Paris-Brest-Paris (PBP), une randonnée cycliste de 1 200 km (une épreuve d’endurance sur routes prédéterminées et limitée dans le temps), et ils devaient partir pour Paris dans quelques jours.
« Je ne pouvais pas lui demander de renoncer à son rêve, encore une fois, à cause de ma tumeur cérébrale », dit Barb. « J’ai subi une intervention chirurgicale à mon retour. J’ai perdu toute vision de mon œil gauche. »
Quatre ans plus tard, Barb faisait face à des difficultés sur tous les fronts. En instance de divorce, souffrant de maux de tête, de pression et de stress croissants, son IRM montrait une progression de la tumeur.
« Le Dr Gentili m’a dit qu’il ne recommanderait pas la chirurgie, car je ne présentais aucune perte fonctionnelle », raconte Barb. « Je lui ai dit que j’allais réfléchir. Puis je l’ai rappelé et j’ai dit que je voulais aller de l’avant avec l’intervention, malgré les risques. Sans résistance, il a accepté et a de nouveau retiré une grande partie de la tumeur. »
Barb attribue cette chirurgie à la longue période de « surveillance active », avant qu’elle ne choisisse d’avoir une radiothérapie en 2014. Elle espérait que la radiation soulagerait la pression exercée par la tumeur derrière son œil gauche.
« Le Dr Gentili a été extraordinaire en me laissant prendre des décisions qui convenaient à ma vie, même lorsqu’il n’était pas forcément d’accord », dit-elle.
Barb s’est appuyée sur sa communauté unitarienne durant cette période, les membres de l’Église l’accompagnant à ses traitements de radiothérapie.
« C’était en fait merveilleux, d’une certaine façon », dit Barb.
Avancer à travers la perte et le deuil
Pendant qu’elle poursuivait son propre parcours de santé, Barb a accompagné Mark lors d’un diagnostic de syndrome de Rett à l’âge de 40 ans.
« Tout s’expliquait enfin une fois que nous avons reçu le bon diagnostic », dit Barb, au sujet de ce trouble neurologique et développemental rare qui a influencé le développement cérébral de Mark et tant d’aspects de sa vie. Mark est malheureusement décédé à 44 ans, en 2017.
Le Dr Gentili, une autre figure profondément importante dans la vie de Barb, est également décédé tragiquement quelques années plus tard, à la suite d’un diagnostic de glioblastome. (Lisez son histoire ici.)
Il est important pour Barb d’honorer ceux qui ont profondément marqué sa vie, en exprimant sa gratitude pour les soins empreints de compassion du Dr Gentili et en écrivant au sujet des défis vécus avec son fils Mark.
Elle a préparé une histoire qu’elle souhaite partager avec d’autres familles ayant un proche vivant avec un handicap, ainsi qu’avec des professionnels de la santé. The Story of Mark and Me est une présentation en quatre parties, d’une durée de 40 minutes, que Barb compare à une conférence TED, intégrant des éléments audio et visuels.
« C’est un projet fascinant », dit-elle. « J’apprends de nouvelles choses sur moi-même et sur ma vie en écrivant tout cela. J’aimerais que ce soit un legs pour Mark. »
Trouver le positif
Entre-temps, Barb a passé du temps dans un camp unitarien au nord de Toronto, troquant cette année sa tente contre un petit chalet.
« C’est formidable d’être entourée d’une bonne communauté et de pouvoir passer du temps en pleine nature », dit-elle.
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Elle a appris à vivre sans vision dans son œil gauche et en a même tiré une perspective positive et humoristique.
« Je n’ai aucune lumière qui entre dans cet œil, ce qui est génial parce que lorsque je pose ma tête sur l’oreiller, je peux créer la nuit et m’endormir n’importe où », dit-elle en riant.
Comme Barb l’écrit dans « The Story of Mark and Me« , « Les gens imaginent parfois qu’une tumeur cérébrale devient le centre de votre histoire. Mais pour moi, vivre avec une tumeur a toujours été quelque chose que je gère autour du reste de ma vie, pas à sa place. Ma vie a toujours été plus intéressante que ma tumeur. »
Elle continue de trouver de la joie dans les petites choses, tout en restant connectée à sa communauté et à la nature.
« Je porte attention à mes symptômes liés à la tumeur quand c’est nécessaire », dit-elle, « sinon, je continue à vivre une vie plutôt incroyable. »